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Une pierre angulaire nécessaire pour Habitat III: Le Droit à la Ville

La conférence de Quito fournira une opportunité majeure pour reformuler la vie dans les établissements humains et le Droit à la Ville peut aider à garantir que tous les peuples puissent vivre dans la dignité dans des territoires durables, démocratiques et justes. Soulignons que de tels modèles existent déjà.

Les villes sont des territoires jouissant d’une importante diversité et de multiples richesseséconomiques, environnementales, politiques et culturelles, aussi bien réellesque potentielles. Mais les modèles de développement mis en œuvre aujourd’hui dans la plupart des pays ont tendance à concentrer revenus et pouvoir, ce qui génère,entre autres problèmes, la pauvreté, l’exclusion etla dégradation de l’environnement dans les zones urbaines.

En outre, les politiques publiques ont souvent tendance à contribuer àces problèmes en ignorant les contributions des communautés locales à la construction de la ville, ainsi que la citoyenneté des habitant-e-s de ces communautés. Ces politiques sont,aussi, préjudiciables à la société et à la vie urbaines.

Ces préoccupations résident au cœur du préambule de la Charte Mondiale pour le Droit à la Ville, un document qui a vu le jouril y a presque quinze ans. La Charte vise à préciser les responsabilités des gouvernements locaux et nationaux, de la société civile et des organisations internationales en garantissant pour toutes et tous une vie dans la dignité dans les zones urbaines.

Le Droit à la Ville élargit le champ traditionnel centré sur l’amélioration de la qualité de vie se fondant sur le logement et le quartier pour englober la qualité de vie à échelle de la ville et de son environnement rural. Il s’agit d’un droit collectif qui confère légitimité à des actions et à des organisations populaires en fonction de leurs us et coutumes, dans le but d’atteindre le plein exercice du droit à un niveau de vie suffisant.

Logo de la Charte de la Ville de Mexico pour le Droit à la Ville.

Comme tous les droits de l’Homme, le Droit à la Ville est interdépendant d’autres droits internationalement reconnus —les droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Le Droit à la Ville apporte à cet éventail les dimensions de la territorialité et, bien sûr, de la vie urbaine.

Il ne s’agit pas d’une nouvelle approche. Beaucoup de ces idées, des propositions et expériences des mouvements sociaux, des organisations de la société civile et des institutions universitaires ont incorporé,à travers le monde,les débats des cinquante dernières années.

Il y a vingt ans, bon nombre de ces groupes avaient également incorporé le Droit à la Ville dans leurs préparatifs de la dernière conférence de l’Habitat, qui a eu lieu à Istanbul en 1996. Néanmoins, le Droit à la Ville n’a pas été explicitement inclus dans le Programme pour l’Habitat, la stratégie découlant de cet évènement. En outre, au cours des 20 années qui ont suivi, le Droit à la Ville n’a toujours pas été reconnu comme un droit codifié par les Nations Unies.

Entretemps, les préparatifs vont bon cours vers la prochaine conférence de l’Habitat —HABITAT III, qui se tiendra à Quito, Equateur, en Octobre. A ce titre, il nous faut à présent reconnaître que la plupart des éléments du Droit à la Ville sont des éléments essentiels des discussions et des débats qui mèneront à Habitat III et à la stratégie mondiale à laquelle l’on souscrira à Quito.

Attentes et préoccupations

La Plate-forme mondiale pour le Droit à la Ville, un forum ouvert pour les intervenant-e-s qui travaillent sur ces questions, a été créée pour faire progresser les débats sur la définition et la mise en œuvre du Droit à la Ville. Malgré cela, aujourd’hui, bien que les intégrant-e-s de la Plate-forme mondiale examinentle processus Habitat avec des attentes élevées, ils et elles ont aussi des préoccupations majeures.

En tête de cette liste d’inquiétudes se trouve le manque d’évaluation de la mise en œuvre du programme adopté à Habitat II, incluant le respect des engagements connexes. De fait, la situation dans les établissements humains à travers le monde s’est considérablement détériorée au cours des deux dernières décennies, en dépitdes promesses faites à Istanbul en 1996.

Les intégrant-e-s de la Plate-forme mondiale sont également préoccupé-e-s par la réduction apparente du Programme pour l’Habitat à une perspective exclusivement urbaine. Si cela se traduit par un «Nouveau Programme Urbain», comme est désignée la stratégie de 20 ans qui surgirait d’Habitat III, il ne donnerait pas une priorité suffisante à la continuité —en fait à la symbiose— entre les zones rurales et urbaines.

Une promesse centrale du Programme pour l’Habitat de 1996 était, après tout, d’ancrer les droits de l’Homme en matière de gouvernance avec «… une approche régionale et intersectorielle de la planification des établissements humains, dans laquelle l’accent serait mis sur les liens ville/campagne, les villages et les mégalopoles étant considérés comme les deux pôles d’un écosystème unique».

De même, il semble que les discussions en vue du nouveau programme proposé abandonnent les engagements antérieurs envers une approche des droits de l’Homme. En Décembre, les expert-e-s de « l’unité politique » centrée sur le Droit à la Ville d’Habitat III ont publié un projet de document «d’orientation»exposant leur réflexion initiale sur cette question.

Les recommandations de ce groupe seront capitales pour l’élaboration du nouveau programme, mais son document «Droit à la ville et Villes pour tous» gagnerait àune expression plus ordonnée du Droit à la Ville comme en témoigne la documentation s’y référantainsi que la Charte mondiale. Il conviendrait également qu’il reconnaisse les engagements du Programme pour l’Habitat qui soutiennent déjà ses revendications et ses principes opérationnels du Droit à la Ville. Cela comprend la gestion démocratique de la ville, la mise en œuvre du Droit de l’Homme à un logement convenable, et l’interdépendance du développement urbain et rural.

Enfin, intégrant-e-s de la Plate-forme mondiale sont préoccupé-e-s par le manque de participation significative,à ce jour, de la société civile dans le processus Habitat III. Il est essentiel que ce processus n’ignore pas le fait que les personnes doivent être au centre de toute stratégie qui émane d’Habitat III—non seulement par leur présence, mais en étant des protagonistes centraux dans la définition du contenu et de la mise en œuvre du nouveau programme.

Compte tenu de ces préoccupations, la société civile devrait jouer un rôle fondamental dans le processus d’Habitat III, celui de mettre en évidence les engagements déjà été pris par les gouvernements et les autres partenaires du Programme pour l’Habitat lors des deux conférences de l’Habitat précédentes. En cela, les groupes d’intervenant-e-s auront besoin à la fois d’évaluer tous les progrès connexes réalisés et de soulignerles stagnations ou les lacunes persistantes du Programme pour l’Habitat.

Deuxièmement, les groupes de la société civile devront accroître leurs expériences et élargir leurs propositions dans le cadre du processus d’Habitat, à la fois à échelle nationale et internationale. À ce jour, les quelques comités de l’Habitat et les rapports à échelle nationale existant ont été mis en place avec peu d’implication des communautés locales et des organisations partenaires.

Solutions et modèles

Les intégrant-e-s de la Plate-forme mondiale croient fermement que le processus d’élaboration d’un nouveau programme pour l’Habitat doit suivre une approche centrée sur les droits de l’Homme, dont le Droit à la Ville serait la pierre angulaire. Des mesures concrètes doivent être prises pour surmonter les inégalités, la discrimination, la ségrégation et le manque d’opportunités afin d’assurer des conditions vivables dans les zones urbaines et rurales.

Par exemple, tout nouveau programme devra mettre en œuvre et imposer les instruments existants pour la planification et la budgétisation participatives. Il devra également institutionnaliser le soutien à la production etgestionsociale de l’habitat, et démocratiser la gestion des terres. Et cette nouvelle stratégie devra reconnaître et respecter la fonction sociale de la propriété, de la terre et de la ville — plus généralement, l’habitat humain dans son ensemble. Dans ce sens,  la «fonction sociale» fait référence à l’utilisation ou à l’application de ces éléments au bénéfice de la société élargie, en privilégiant ceux et celles qui ont le plus de besoins.

Chacun de ces éléments est expliqué et développé dans le cadre du Droit à la Ville. Pour en savoir plus sur la mise en œuvre du Droit à la Ville, veuillez cliquer ici.

À l’initiative de l’Assemblée Générale de l’ONU, Habitat III est destiné à réunir les protagonistes mondiaux en vue du débat et de la planification de nouvelles voies pour affronter le défi de garantir des établissements humains équitables et durables, dans l’égalité des chances, la démocratie et la justice sociale. A Quito, les Etats membres conviendront d’un nouveau programme visant à relever les défis actuels et futurs de l’urbanisation et de la vie dans les villes.

En ce sens, il est essentiel de reconnaître les réalisations et les innovations de la société civile et des autorités locales sur la base du Droit à la Ville et d’autres droits de l’Homme pour toutes et tous. Et en effet, il existe déjà une multitude de modèles importants dans le monde entier présentant des approches novatrices pour la mise en œuvre de ce cadre dans son intégralité ou en partie.

Au Brésil, par exemple, le Droit à la Ville a été incorporé dans les Statutsuniques de la Ville depuis 2001. Cette loi offre des instruments pour réaliser la fonction sociale de la propriété urbaine et garantir sa gestion démocratique. Ellecomprend la budgétisation participative, permettant aux citoyen-ne-s d’influencer et de prendre des décisions relatives aux budgets publics, dans le but d’établir des priorités d’investissement dans leur région.

La perspective du Droit à la Ville est également appliquée par le biais de nouvelles façons de penser la propriété foncière et l’utilisation de l’espace urbain. Dans un éventail de pays — l’Australie, la Belgique, le Canada, le Kenya, la Nouvelle-Zélande, l’Ouganda, le Royaume-Uni et les États-Unis, par exemple — les fiducies foncières communautaires ont été créées pour garantir l’appropriation et la gestiondémocratiquesdes terres et des domaines locaux. Ce modèle pourrait faire beaucoup pour préserver l’idée du logement collectif et des droits fonciers.

L’Afrique du Sud, quant à elle, se penche sur une pratique émergente d’amélioration participative des établissements informels. Cette approche favorise,encore, la reconnaissance de la fonction sociale de la terre et exploite les capacités des communautés urbaines à identifier et formulerdes alternatives face à l’ingérence du développement actuel.

Enfin, la Colombie a été l’un des premiers pays à adopter des «instruments innovants quicapturentles gains de la valeur de la terre et récupère les investissements publics», comme le stipule l’engament formel du Programme pour l’Habitat. Là, la mise en œuvre de la législation adoptée en 1997 a permis la capture et la redistribution de la valeur des terrains «socialement créée» pendant près de deux décennies.

Ce sont des modèles intéressants qui offrent une opportunité significative pour l’expansion. Dès maintenant, les enseignements tirés de l’application de ces engagements du Programme pour l’Habitat sont essentielles pour ancrer les étapes et innovations futures pour Habitat III.

Isabel Pascual est la responsable de communication duSecrétariat Généralde Habitat International Coalition (HIC). HIC naît à Habitat I en 1976 et est l’un des membres fondateur de la Plate-forme mondiale pour le Droit à la Ville.

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