Abandonnons l’idée de profit et remettons en pratique la fonction sociale de l’espace urbain

*Article publié à l’origine en espagnol dans la section Seres Urbanos de El País.

Alors que se termine une année qui aura été marquée par de nombreux défis et transformations, nous avons célébré avec espoir la Journée des Droits de l’Homme. Les réponses apportées à la crise pandémique contribuent à accélérer la transition vers un nouveau paradigme, visant à mieux reconstruire nos villes et nos établissements humains : celui du Droit à la Ville.

La crise mondiale provoquée par le coronavirus démontre l’urgence de faire passer la vie et les individus avant les profits. Il est plus que jamais nécessaire de transformer réellement les conditions de vie en ville, en s’orientant vers des modèles de développement économique et urbain fondés sur le concept de fonction sociale de la ville. Cela implique de restaurer et renforcer la fourniture de services publics de proximité, et de promouvoir une économie au service de la vie et du bien commun. Priorité doit être donnée à la dignité et au bien-être des individus, ainsi qu’à la démocratisation effective des prises de décision concernant le présent et l’avenir des villes.

On voit de plus en plus se dessiner les limites des modèles urbains actuels, qui conçoivent les villes comme des marchandises. Ces limites reflètent des villes inégales, ségréguées, exclusives, qui ne garantissent pas l’accès des populations à leurs droits fondamentaux, tels que la santé et le logement. En outre, ces modèles se perpétuent à travers des mécanismes qui entraînent, entre autres, des expulsions, des expropriations, du sans-abrisme, la privatisation des espaces et des services publics, la destruction de modes de vie, ou encore de l’exclusion et de la violence.

Ces signes multiples qui témoignent des limites structurelles de ces modèles hégémoniques de villes laissent cependant entrevoir des opportunités pour proposer des modèles alternatifs. La période actuelle est vectrice de transformations rapides, du fait des initiatives menées par les organisations de la société civile et les gouvernements locaux de par le monde. Nous sommes confrontés à l’émergence de nouvelles pratiques et initiatives transformatrices visant à répondre aux crises économiques, sociales et écologiques systémiques de notre planète.

« Les initiatives locales de résistance contre la marchandisation et la financiarisation dessinent progressivement les contours d’un autre monde possible » – Raquel Rolnik, ancienne Rapporteuse Spéciale des Nations-Unies sur le logement convenable, à l’occasion de la cérémonie de remise du prix des Villes Transformatrices.

En Argentine, en Écosse, en Espagne, aux États-Unis, en France et au Portugal, une étape a été franchie vers une plus grande protection du droit au logement. Pendant la pandémie, les expulsions ont été suspendues et de nouvelles politiques ont été élaborées pour convertir les appartements touristiques et les bureaux en logements abordables. Des progrès ont également été réalisés dans le monde entier dans la mise en œuvre de mesures d’urgence visant à garantir la fourniture de produits de base et à soutenir les travailleur-se-s du secteur informel. Ces initiatives ont démontré que le changement est possible ; le défi consiste maintenant à les convertir en politiques durables et en changements structurels.

Pour ce faire, la société civile a ouvert la voie, tel que le démontrent les finalistes de l’Atlas des Utopies, un projet de l’Institut Transnational qui vise à rassembler les expériences de communautés du monde entier pour mener des politiques transformatrices, en particulier dans les secteurs du logement, de l’eau, de l’alimentation et de l’énergie. À titre d’exemple, à Petorca, au Chili, « Agua para todxs », un syndicat rural rassemblant des fournisseurs d’eau communautaires, a proposé des solutions durables à la crise de l’eau en renforçant la mobilisation à l’échelle communautaire. À Pengon, en Palestine, les femmes palestiniennes jouent un rôle de première ligne dans le secteur de l’énergie durable. Cette initiative, menée par des femmes issues des communautés locales, vise à transformer le système de production d’énergie, notamment en leur donnant le contrôle dans le domaine de l’énergie solaire. Elle permet aussi aux femmes d’être intégrées de manière active dans les prises de décision dans le secteur de l’énergie propre et d’insuffler du changement dans leurs communautés.

Ces expériences des membres et partenaires de la Plateforme Globale pour le Droit à la Ville et des Villes Transformatrices montrent que la défense du Droit à la Ville pour toutes et pour tous est possible. En s’appuyant sur son caractère transversal et démocratique, ainsi que sur sa portée territoriale, nous revendiquons le fait d’utiliser le Droit à la Ville comme une feuille de route pour sortir renforcé-e-s de ces crises. Aujourd’hui, et comme jamais auparavant, nous avons pris conscience de l’interdépendance entre tous les droits humains. Nous devons adopter une approche globale, ancrée dans le territoire et construite de manière conjointe par les membres de la société, les gouvernements locaux et nationaux, et les organisations internationales engagées pour construire cet autre monde possible, plus juste, solidaire et durable.

Auteurs:

Isabel Pascual Díaz et Sophia Neitzert Torres font partie de la Plateforme Globale pour le Droit à la Ville, un mouvement composé d’organisations de la société civile, de réseaux et d’organisations de gouvernements locaux engagés dans le changement social et qui promeuvent, défendent et mettent en œuvre le Droit à la Ville. Elles sont également membres de la Coalition Internationale de l’Habitat (HIC), un réseau mondial qui œuvre pour la défense, la promotion et la mise en œuvre des droits humains liés à l’habitat dans les zones rurales et urbaines.

Josephine Valeske et Melissa Koutouzis sont membres de l’équipe du Transnational Institute, un institut international de recherche politique et de plaidoyer qui œuvre pour un monde plus juste, plus démocratique et plus durable.