Au cours des trois dernières décennies, l’Amérique latine a joué un rôle clé dans le débat et la lutte pour le droit à la ville. La région est également pionnière en termes d’expériences de reconnaissance légale de ce droit et la formulation de politiques publiques visant à la mise en œuvre de ses composantes. L’année 2021 marque le 5e anniversaire du Nouveau programme pour les villes (NUA, en anglais) et le 20e anniversaire du Statut de la Ville (EC, en portuguais) brésilien. Ces instruments sont fondamentaux pour renforcer la réalisation du droit à la ville dans la région et au-delà et sont tous deux le fruit d’importants processus de plaidoyers stratégiques qui ont mobilisé de multiples acteurs.  

Dans ce cadre, Cities Alliance, le bureau Amérique latine de la Coalition internationale de l’habitat (HIC-AL) et la Plateforme globale pour le droit à la ville (GPR2C / PGDC) ont promu l’organisation du cycle de débats « Avancées pour le droit à la ville en Amérique latine : débattons autour du Statut de la ville, du Nouveau programme pour les villes, ainsi que des dispositions constitutionnelles et légales récentes ». Quatre sessions ont eu lieu entre octobre et décembre 2021. Dans son ensemble, le cycle visait à discuter de l’agenda du droit à la ville en Amérique latine à partir des impacts et des avancées dérivés des instruments et cadres juridiques en place au travers d’une réflexion et d’un échange avec différents acteurs stratégiques pour la promotion de meilleures villes pour tous.

Les quatre sessions du cycle (toutes en espagnol) ont présenté une diversité de points de vue et de voix en termes d’acteurs, de territoires et d’échelles d’action, autour des thèmes suivants :

  • 18 Oct – La pertinence du Statut de la ville au Brésil pour la transformation urbaine en Amérique latine(vidéo de la session)
  • 4 nov. – La trajectoire et l’impact du droit à la ville dans le processus constituant chilien  – (vidéo de la session)
  • 17 nov. – Progrès et perspectives des politiques nationales et locales vers la réalisation du droit à la ville en Amérique latine 5 ans après le Nouveau programme pour les villes   – (vidéo de la session)
  • 9 déc. – Principaux défis pour la législation urbaine dans la réalisation du droit à la ville  – (vidéo de la session)

Voici un résumé des principaux éléments du débat au cours du cycle. Pour en savoir plus sur cette série, le programme des sessions et les intervenants, cliquez ici (en espagnol). 

Piliers du lien entre le droit à la ville et la politique du logement mise en œuvre par l’État mexicain – Edna Vega Rangel, directrice de la Commission nationale du logement du Mexique

Clés stratégiques des avancées et des reculs dans la reconnaissance du droit à la ville en Amérique latine 

Au long des quatre sessions, l’objectif était de développer une évaluation et une analyse des différentes expériences dans une perspective comparative et complémentaire, afin d’identifier les avancées et les reculs, et de contribuer à l’apprentissage mutuel et au renforcement d’une articulation régionale autour du droit à la ville. 

D’une part, bien qu’il y ait eu des avancées importantes en termes de réglementations et de politiques publiques, l’application de ces normes et engagements, en particulier dans les quartiers informels, reste un défi pour la région. D’importants revers ont été enregistrés en termes de réformes qui brouillent ou rendent inefficaces les dispositions juridiques progressistes (comme on l’a vu au Brésil, par exemple). On observe également un manque de continuité et d’articulation dans la mise en œuvre de politiques urbaines, notamment depuis les changements récents du paysage politique de la région. En parallèle, on constate une augmentation du centralisme dans la gestion et la formulation des politiques urbaines, ainsi que la financiarisation croissante des terrains et des logements. 

Du fait de ce scénario, il est clair qu’il est important d’avancer dans les dispositions légales garantissant le droit à la ville, et contribuer à une définition concrète et normative. Qu’elle soutienne la formation de politiques publiques, et permette aussi la protection de ce droit et de ses composantes lors de situations conflictuelles. Par exemple, à travers des litiges stratégiques, principalement face à des contextes/récession défavorables en termes de gouvernement et de politiques publiques. 

D’autre part, il a également été souligné que le rôle de la mobilisation sociale et de l’articulation de divers acteurs est central pour faire avancer la mise en œuvre des propositions et du consensus autour du droit à la ville et de ses composantes. L’importance des gouvernements locaux dans le développement de politiques qui garantissent le droit à la ville dans la région a été réitérée. En effet, l’échelle municipale a acquis davantage de leadership dans la formulation et l’exécution de politiques urbaines à la suite du processus de décentralisation observé dans divers pays de la région à partir des années 1980-1990.

Réflexions sur la mise en œuvre du programme « Bâtiments vides » dans la municipalité B de Montevideo – Silvana Pissano, maire de la municipalité B de Montevideo.

Le droit à la ville et ses composantes se traduisent par des lois et des politiques publiques :

Les éléments du droit à la ville qui ont été mis en évidence comme fondamentaux dans l’expérience de la région sont les suivants :

  • La protection de la fonction sociale et du bien-être collectif par rapport à la spéculation et à l’accumulation, afin d’assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices entre l’ensemble de la population, sur la base d’instruments qui conditionnent la propriété privée et la valorisation urbaine du territoire, dans le cadre d’un projet public-collectif de la ville fondé sur le droit à la ville ;
  • L’importance de protéger le droit à la terre afin de garantir le droit à la ville et au logement, ce qui implique le régime foncier et de propriété urbaine et la discipline de l’utilisation des terres et de la propriété urbaine par le biais de mécanismes de planification, de gestion et de régulation des terres urbaines, la captation des plus-values et la construction de logements sociaux pour garantir l’accès au logement aux populations les plus vulnérables dans des zones bien localisées ;
  • La centralité des soins (aux personnes, communautés, planète), dans une perspective de coresponsabilité et avec une approche territoriale qui tient compte de la diversité de la population et de ses besoins, notamment des territoires vulnérables et des groupes traditionnellement exclus et marginalisés ;
  • La gestion démocratique directe au niveau local, qui doit progresser par rapport à l’autoritarisme et au centralisme qui se renforcent dans de nombreux endroits.

Axes clé du système de soins de quartier de Bogotá, présenté par Diana Parra, sous-secrétaire aux politiques d’égalité de Bogotá; 

Les débats développés au long du cycle montrent que, malgré les revers, grâce à la solidarité et au renforcement des alliances et de la réflexion collective, les bases sont en place pour avancer vers des transformations substantielles qui placent plusieurs des principes clés du droit à la ville au centre de l’agenda politique. Un tel processus, loin d’être un continuum linéaire, démontre l’importance de l’expérimentation, de l’apprentissage mutuel et des avancées progressives dans la mise en œuvre des politiques et des instruments, ainsi que l’importance de la mobilisation permanente des mouvements et des entités de la société civile dans leur rôle de résistance active aux modèles et aux politiques de ville excluantes et autoritaires.